La voix de Graine
C’est mon anniversaire ajourd’hui. J’ai 65 ans. Une après l’autre, les années s’empilent, de plus en plus vite. J’ai peur de cet âge qui vient. Je ne veux pas vieillir. Je ne veux pas de cet âge qui retrécit les cerveaux, qui retrécit les gestes et le corps tout entier. Pourtant, mes enfants, mes petits-enfants…je dois leur laisser la place, je dois les laisser aller dans la lumière de la vie. Je dois accepter de reculer dans l’ombre en continuant de les accompagner tant que j’en suis capable.
Comme dit mon beau-frère, la vie se déroule comme le papier toilette. Plus tu avances, plus ça va vite. Et puis, plus rien.
Aujourd’hui, je suis invitée et je vais dormir chez ma soeur, ma petite soeur. Auparavant, je dois tout de même m’occuper de mon frère. Ce n’est pas rien. Je suis contente de l’avoir pris chez moi, d’autant plus aujourd’hui, jour de mon anniversaire. Je suis contente de lui offrir ce cadeau. Avec le Covid et les travaux effectués dans la maison, cela fait quelques mois que je ne l’avais pas pris. Il vient déjeuner avec nous chez ma soeur.
L’après-midi, après avoir ramené mon frère dans son établissement, nous flânons ma soeur et moi dans Albi. Une branche de mes lunettes s’est cassée. L’opticien très sympathique appelle mon opticien parisien pour qu’il me commande la pièce nécessaire à la réparation. Nous cherchons aussi du biais pour mes rideaux. Des occupations de filles que nous prolongerions volontiers s’il n’y avait pas le couvre-feu. Mon beau-frère est parti voir des courses automobiles au circuit d’Albi. Mon mari télétravaille.
Avant le repas du soir, j’ai quartier libre tandis que tous s’activent pour me préparer mon repas d’anniversaire.
Graine Lilie, je ne connais pas beaucoup de graines aussi vaillantes, aussi allantes, aussi vivantes que toi. Tu as le blues. Tu t’ennuies. Le télétravail, le Covid avec son couvre-feu, ses masques et sa distanciation, le manque de relations sociales, sûr que ça plombe même les plus solides. Notre humanité se révèle dans nos faiblesses. Heureusement que tu es faible, un peu faible. Sinon tu me ferais trop peur. Je me sentirais trop nulle. Je ne pourrais pas être ta copine.
La voix de Lilie
65 ans Graine. Qui l’aurait dit le jour où je suis rentrée dans ton bureau ? J’avais 23 ans, toi 28. Nous les avons toujours quand nous sommes ensemble. Et pourtant nous avons tant vécu. Mariage, enfants, petits enfants, carrière, loisirs, sorties, randonnées. Partage, consolations, écoute. Une vie. Si courte. Le temps marque nos visages, nos corps. Déjà mal ici et là. Déjà se rendre compte que l’on a oublié certains gestes depuis longtemps. Tous ces gestes d’enfant, cabrioles, monter à la corde, faire l’arbre droit, la roue… Comme toi, j’ai peur. Peur de me dégrader. Peur de souffrir. De ne plus voir. De ne plus pouvoir vivre sans être morte. Peur aussi de finir et pire, d’être dépendante. Cette année, comme toi, je passerai un cap. J’y pense beaucoup. J’ai tellement envie de continuer notre chemin. Comme tu dis, il faut laisser la place pour nos petits. C’est leur tour. Je regardais mes petits enfants aujourd’hui en pensant que j’ai droit à un deuxième tour de bébé après avoir regardé mes enfants. J’en profite encore plus. Il n’y aura pas de prochain tour.
Anniversaire, s’amuser avec ses amis et sa famille. Souffler les bougies, danser, faire la fête. Et sans arrières pensées autrefois. Bien loin de celles pensées qui nous assaillent maintenant chaque fois que l’horloge sonne. Tu cites ton beau frère, je vais citer mon père qui dit qu’il est sur une pente savonneuse.
Pour autant c’est ton anniversaire aujourd’hui, tu as passé une très belle journée, entourée de ta famille. Alors, je te souhaite à mon tour, un très très bon anniversaire.
Merci de m’avoir remonté le moral, Graine, tu sais dire les mots qui font du bien.
De mon côté, les petits enfants nous mettent ko en 2 rounds. Dernier round demain ! Bébé ne dort pas bien la nuit, nous avons perdu l’habitude d’enchaîner la nuit et le jour avec 2 petits. Jouer, lire, dessiner, faire à manger et faire manger. Préparer 1000 choses avant de sortir. Ranger toute la maison chaque soir. Se poser une heure dans le canapé et entendre bébé appeler. Déjà.. La nuit sera longue, ou courte c’est selon.