La voix de Graine
Aujourd’hui, le soleil est revenu, enfin. C’est un soleil timide et capricieux, mais tout de même, il y a de la lumière et ça fait du bien.
Pour marcher, le temps est idéal, ni trop chaud, ni trop froid et surtout pas de pluie. Je pars de la maison vers 8 h 20, en même temps que mon mari. Je fais un bout de chemin avec lui – depuis des années, il fait à pied le trajet pour se rendre au boulot. Puis je sors de Paris et je rejoins le bois de Vincennes. Je connais le bois par cœur. Malgré tout, je me perds…et je me retrouve car j’ai quelques points de repère. De toute manière, comment se perdre aujourd’hui avec le GPS. Lac Daumesnil, hippodrome, arboretum – je revois la pelouse où nous avons pique-niqué au printemps dernier. L’herbe a bien poussé depuis! Je fais une pause au jardin tropical. C’est un endroit que j’aime bien. Il est hors du temps et de l’espace. Un exotisme désuet, des bâtiments en ruine, une évocation de l’ailleurs.
De retour sur Paris, je fais un détour par le marché. Pour la plupart, mes commerçants ne sont pas là, le marché est vide, les parisiens sont ailleurs sur les plages ou à la campagne.
je suis contente de rentrer. Je suis vannée. Mon objectif était de faire 20 km. J’en ai fait 19,5. Les 1ers kilomètres ont été durs. Je passais mon temps à regarder l’heure sur mon portable. Les derniers kilomètres ont été durs également car je manque d’entraînement.
En fin d’après-midi, après mon rendez-vous chez la coiffeuse, je vais chercher petit-fils à la crèche. Il dort chez nous ce soir.
Nous sommes contents d’avoir petit fils à la maison. Malgré notre absence d’un mois, il nous retrouve comme si nous nous étions quittés hier. Il parle de plus en plus. Nous ne comprenons pas tout. Il a toujours aussi bon appétit. Le passage à l’étape dodo est comme d’habitude la phase la plus délicate. Ce soir, nous décidons d’être patients et ça fonctionne.
Je suis contente, Lilie, de retrouver ta voix, et triste de l’épreuve que tu traverses. Je te remercie de partager ce moment difficile et intime. Sans l’intime, nous ne sommes que des carcasses composés d’os et de chairs flasques. L’intime, c’est le vivant, l’humain en nous , ce qui nous fait vibrer, rire, ou pleurer, selon les circonstances. Poser des mots, c’est se poser aussi, pour prendre un peu de recul.
La voix de Lilie
C’est vrai que cet été nos voix se répondent pendant que nos vécus sont tellement dissemblables. Toi en vacances et dans tes projets de pèlerinage, moi dans l’accompagnement de mon père. J’aime te lire le soir pour sentir la vie autour et voyager avec toi. Un chemin va bientôt s’arrêter, un autre commencera, ainsi va la vie.
Ce matin nous sommes appelés par l’hôpital. Il faut partir en urgence. Le voir une dernière fois. Il dort lorsque nous arrivons, ma sœur, mon mari et moi. Notre présence le réveille. Le bleu de ses yeux se fond, son regard se perd. Nous parlons autour de lui car il aime nous entendre. Ma sœur lui lit quelques pages d’un livre. Il est temps de se dire au revoir, il a envie de dormir. Nous lui souhaitons bonne nuit et de faire de beaux rêves. Nous l’aidons à boire un peu d’eau, il veut le faire seul. Puis il referme un peu les yeux. L’infirmière vient poser la perfusion de sédatif. Il ne se réveillera plus. Toute la journée nous écoutons sa respiration, régulière, lente. Chacune de ses apnées nous donne un coup au cœur. Comme chaque soir, en partant, nous lui souhaitons bonne nuit et nous lui disons à demain.
C’est très dur cet ascenseur émotionnel, chaque soir est le dernier et chaque jour il est encore là. Seulement demain, il respirera peut-être mais il ne sera plus avec nous.
Il est possible qu’il attende son fils qui arrive demain soir.
Nous rentrons, sonnés par cette journée. Ma cousine et mon beau frère ont fait le repas. Nous dînons tous ensemble avant d’aller nous coucher. Il nous faut garder quelques forces pour les jours qui viennent.