La voix de Graine
Ce jeudi promettait d’être chargé et il tient ses promesses.
Ce soir, c’est le vernissage de l’exposition de notre Cercle d’Arts Plastiques. Depuis 2 ou 3 jours, j’y réfléchis. C’est décidé, Je vais faire un cake aux poivrons et au fromage de chèvre. Je ne peux tout de même pas arriver les mains vides. J’achète également des tomates cerise et des gâteaux secs.
Sortir faire quelques courses complémentaires, préparer le repas pour midi, faire mon cake, ça se traduit par beaucoup temps debout. Quand nous passons à table, je suis vannée. C’est mon mari qui met la table et qui débarrasse.
Après le repas et une pause bien méritée, je prends le café avec ma voisine qui habite dans l’appartement juste en dessous de chez nous. Elle aussi marche avec deux béquilles et depuis pas mal de temps. Fin juin, elle se fait opérer pour mettre des prothèses à ses deux genoux. J’ai mal pour elle, j’ai peur pour elle. Avant sa retraite, il y a 4 ans, elle était hôtesse de l’air. Depuis le début de sa retraite, elle va de galère en galère.
Après le café nous partons toutes les deux en balade jusqu’à la coulée verte avec nos quatre cannes et nos quatre jambes branlantes. Un vrai convoi d’handicapées. Au retour, nous traversons des groupes d’enfants qui sortent de l’école. Ce n’est pas vraiment la bonne heure pour rentrer de promenade.
Au retour à la maison, j’ai besoin d’une pause à nouveau. Mais je n’ai pas le temps de traîner. Je dois me préparer pour partir au vernissage.
M’habiller pour « sortir », réserver un UBER, tout ça me prend du temps.
C’est une grande sortie pour moi, de loin, la plus grande depuis mon accident. Je comptais bien te voir, Lilie, mais je ne t’ai pas vue. Ce n’est pas grave. Les graines sont représentées. Ma fille est venue avec un beau bouquet de fleurs. J’avoue que je suis fière de pouvoir faire acte de présence, en amenant un cake, qui plus est. Revoir les copines de l’atelier, découvir les oeuvres accrochées sous une belle lumière me font plaisir, c’est comme une sortie de confinement.
Au retour, nous rentrons en métro. Je suis épuisée mais contente de ma journée. J’en ai fait un peu plus qu’hier et j’ai revu des têtes que n’avais pas vues depuis plus d’un mois.
La voix de Lilie
C’est ta première grande sortie et je ne suis pas là… Pour moi, aujourd’hui c’est la vraie reprise du travail. Que c’est difficile de s’enfermer la journée pour effectuer des figures imposées. Il fait beau dehors, le jardin m’appelle, et je reste dans la maison. La vie est ainsi faite pour la grande majorité de l’humanité de passer sa vie à travailler. Quelle drôle d’organisation nous avons mis en place. Drôle n’est pas le terme d’ailleurs. Triste plutôt. Certains prennent plus de plaisir que d’autres et heureusement j’en fais partie.
Hier soir j’ai déposé des annonces sur 2 sites pour tenter de vendre les voitures de collection de mon père. Ça me fait un pincement au coeur. Démanteler ses affaires c’est le déposséder et laisser partir l’enfance et ses souvenirs. Je le revois arriver avec sa première voiture, tacot, me chercher au lycée. J’avais honte, je ne voulais pas que l’on me remarque en train de monter dans cet engin. Quelques années plus tard, j’ai demandé à mon père de me conduite dans la deuxième voiture pour mon mariage. Je le revois la remonter pièce par pièce, même si en tant que fille il m’a toujours exclue d’office de son garage. Il y a tellement d’objets et de collections dans cette maison que ça donne le vertige. Commençons doucement.
Je sors tard du travail et je commence ma valise pour partir demain chez ma mère. A peine rentrée, déjà repartie !
Je reçois ton message Graine en plein milieu du repas. Le temps de le lire, il est trop tard. Au début, je ne comprends pas ce que tu veux dire. Puis je me souviens de ce message reçu pendant mes vacances. Je t’avais promis de venir au vernissage et j’ai oublié. Oublié de mettre un rappel, oublié parce que je n’enregistre plus rien. Mon cerveau est devenu passoire. Je m’en veux, je suis tellement triste d’avoir raté ce moment. Ton moment. Ta première vraie sortie. Allez comprendre. Lorsque les choses importantes vous échappent au profit de tas de futilités du quotidien qui encombrent votre cerveau et usent toute votre énergie. Comment arrêter ce cercle vicieux. Ne plus faire. Être.
Ne sois pas triste, Lilie. J’ai passé une très bonne soirée. J’avais bien sûr idée que tu la partagerais avec moi, mais nos vies sont tellement compliquées. Quoique, la mienne s’est étonnamment simplifiée ces derniers temps. Il faut être partout, avoir un agenda dans la tête, faire front, répondre aux sollicitations à tel point que nous nous perdons en route..,A en oublier parfois qui nous sommes et ce que nous voulons.
Tu étais avec moi avec le cœur, sois-en certaine et c’était très bien comme ça.
Bonne journée