La voix de Graine

Comme tu le dis, Lilie, nous sommes chacune sur notre chemin et nos chemins cet été sont bien divergents. Seule l’amité nous unit et le fil de ce blog. J’ai une pensée pour toi, Lilie, qui traverse un moment bien difficile.

Ce matin, je me réveille en n’ayant pas assez dormi, habituel lorsque petit-fils passe la nuit à la maison. Lui a plutôt bien dormi. Il s’est réveillé vers 2h parce qu’il avait soif. Et il s’est rendormi, dans notre lit. Mon mari et moi ne sommes plus habitués à ces nuits en pointillés. Une fois réveillés, repartir dans le sommeil n’est plus aussi immédiat qu’autrefois. Qu’importe, je suis ravie que notre petit ait dormi à la maison.

Il se réveille à 8 h. Je le prépare pour partir à la crèche. Il est facile et coopératif sauf quand je refuse de lui donner les ustensiles de cuisine qu’il réclame. Il s’assied par terre et râle en signe de mécontement. Pas question que je cède car c’est l’heure de partir à la crèche. Je me prépare à prendre le bus, mais devant l’attente, j’y vais à pied. 35 bonnes minutes de marche d’un bon pas, en montée. Un vrai démarrage de journée. J’aurais dû être en avance, mais je suis pile à l’heure limite. Il est 10 h. Petit fils ne veut pas me lâcher, je galère pour plier la poussette et je me fais aider par une employée.

Pour rentrer, je prends le bus. J’ai assez marché pour ce matin et je suis un peu pressée. J’attends un graine pour ce midi. Nous devons aller rôder du côté de Chateau-Rouge cet après-midi. De plus, ce que j’avais zappé, mon mari a rendez-vous chez son dentiste en début d’après-midi pour se faire poser un implant. C’est pratique, le télétravail, ça permet de mieux gérer les contraintes personnelles, quand la hiérachie est d’accord.

Après le repas, nous prenons le métro direction Barbes pour monter sur Château Rouge. C’est l’Afrique noire ici, sans passe sanitaire ni billet d’avion. Nous découvrons. C’est la première fois que nous venons dans le quartier. Mon mari est déjà venu avec ma copine africaine pour y manger un plat africain. Aujourd’hui, nous venons pour acheter les ingrédients nécessaires pour faire les plats africains que ma copine a prévu de concocter pour fêter l’anniversaire de son fils. Pour être sûres d’acquérir les bons produits, nous questionnons les clientes, les commerçants. Les boutiques sont pleines à craquer, la distanciation reste approximative, mais toutes et tous portent le masque. Ma copine assiste à une négociation épique de poissons surgelés, congélateur grand ouvert. A l’issue de la palabre, c’est apparemment la cliente qui a gain de cause. Comme c’est curieux, ma copine fait l’impasse sur le poisson fumé qu’elle avait envisagé d’acheter.

Après avoir arpenté les commerces africains, nous nous dirigeons vers le quartier tamoul entre les métros Louis Blanc et La Chapelle. Rue Pajol, nous découvrons le temple hindouiste dédié à Ganesh, le Dieu éléphant. Nous n’osons pas rentrer. Les épiceries tamoul sont impeccablement rangées et sentent bon. C’est trop tentant. Mais comme dans le quartier africain, les produits sont pour nous, pour la plupart, inconnus, exotiques. Nous nous arrêtons dans un petit estaminet pour prendre un thé à la cardamone. Et nous avons un thé au lait, peut-être à la cardamone…

Une journée bien remplie qui se termine. J’ai commencé à distribuer des têtes et des gousses d’ail. Nous en avons glanées beaucoup! Mon mari a un magnifique morceau de fer tout neuf dans la bouche. Et ce soir, normalement, je dois écrire avec ma copine si elle ne m’oublie pas.

La voix de Lilie

Tu remplis tes journées Graine. N’oublie pas de te poser un peu de temps en temps si tu veux être en forme pour ta marche.

J’ai fait de drôles de rêves sur le matin. Ma nièce me disait qu’on a enfin trouvé le mal qui ronge mon père. C’est un cancer de l’oreille interne. Je me demande où j’ai été cherché ça. Peut être parce que je disais que l’organe attaqué ne devait plus fonctionner et mon père est sourd. Puis une graine oubliée qui nous montrait ses trophées gagnés au golf. Dans la boite 3 bouchons de bouteilles de plongée en guise de trophée.

Je me lève. L’hôpital n’a pas appelé. Mon père doit être encore en train de dormir. Je me prépare pour aller travailler. Puis l’hôpital appelle. Mon père est parti cette nuit, tranquillement, dans ce sommeil irreversible. Nous partons directement pour le voir une dernière fois dans sa chambre.

Quel mystère que la mort. Son corps chaud et vivant s’est vidé de lui, figé, durci. Il était là, il n’est plus là. Je n’aurais jamais cru qu’il puisse mourir. Mon père, si fort, devenu l’ombre de lui même, disparu. J’ai du mal à le croire. Pourtant je suis soulagée de ne plus voir cette décrépitude des jours derniers. De ne plus avoir chaque soir à le quitter pour le retrouver dans ce tunnel de fin de vie. C’est fait. La vie s’est arrêtée. Mon père est un souvenir. Un souvenir d’enfance, de jeunesse, de vieillesse. Je revois ses yeux bleux pâles, uniques, son regard qui nous cherchait à la fin, qui se révulsait pour partir dans les limbes, son regard qui pouvait être froid et même glacial et pourtant magnifique.

Ce soir la maison devient la notre. Et l’on mesure avec ma sœur, l’immensité de la tâche qui nous attend. Des armoires partout. Pleines à craquer de vêtements jetés pèle mêle, des objets de toutes sortes, partout. Difficile de rentrer dans l’intimité de son parent. De fouiller sans se sentir illégitime.

Il n’a pas su dire qu’il nous aimait. Le saura-t-on jamais.