La voix de Graine

Je suis tout à la fois pressée de partir et un peu inquiète: La longueur du voyage, vais-je pouvoir conduire un peu, comment va se passer le quotidien avec ma fille, qu’est-ce que je vais faire de mes journées à la campagne? Pourtant, c’est sûr, j’ai besoin de changer d’air et d’élargir mon horizon. Mon mari râle sans discontinuer et en plus revendique le droit de râler, ben voyons!

Journée tranquille aujourd’hui. Mon gendre (ex) part avant 9 h avec ses bagages. Moi, ce matin, j’essaie d’en finir avec les tâches qui me pèsent. Globalement, je fais le taf. Et cet après-midi, je colle. En fait, je remplis mon « Carnet de deuil ». Je t’explique Lilie. Il y a quelques mois, ma masseuse m’avait parlé de Nathalie Hanot et de son « Carnet de Deuil ». Je n’avais pas vraiment compris pourquoi elle me parlait de ça, et à vrai dire je ne me sentais pas concernée. C’est vrai que les deuils ont été nombreux dans ma famille, et si on rajoute les ruptures et les pertes d’une autre nature, j’en ai lourd dans ma besace, mais, tout de même, je ne me sentais pas concernée. Ma masseuse qui venait de faire le stage était enthousiaste.

Quand j’ai eu mon accident, l’épisode m’est revenu. J’ai acheté le livre. Faire le stage, dans mon état, n’était pas envisageable. Mais de quel deuil allais-je traiter dans mon carnet? Dans le doute, j’ai pris le paquet, et inclus dans mon carnet de deuil toutes les personnes qui sont parties et qui me manquent, mais aussi tous ces renoncements qui me sont imposés et que je digère mal, le dernier en date étant l’activité physique ….

Si je t’en parle, Lilie, c’est qu’il s’agit d’un carnet créatif et ludique où l’écriture, les arts plastiques et la peinture se mêlent pour évoquer ce qui fait mal et empêche d’avancer.

Les débuts ont été difficiles. L’accident m’avait laissé dans un état de sidération. J’étais muette. Le carnet m’a libéré peu à peu et permis d’exprimer ce que je ressentais. Aucun miracle à attendre, mais ce travail que je continue à ma manière me fait plutôt du bien.

A 17 h, c’est ma dernière séance de kiné à Paris. Le kiné me recommande de faire attention à ne pas boîter. Je promets d’y prêter attention.

Ma voisine à qui j’ai rendu visite hier à l’hôpital a attrapé le Covid. Son départ en centre de rééducation est retardé. Ce n’est pas de chance pour elle. Et moi, je vais devoir faire un test dans quelques jours.

La voix de Lilie

Ce matin je décide enfin de partir courir. C’est la première fois de l’année. Moi qui courait chaque semaine une ou deux fois depuis 17 ans, je me suis arrêtée progressivement en fin d’année dernière. Peur des 60 ans ? Ras le bol ? Nouvelle vie ? Douleurs aussi, au dos, aux articulations. J’ai décidé de courir moins longtemps, plus souvent. Je suis contente de l’avoir fait. Je pars en vacances dans 3 jours et il fera certainement trop chaud pour que je persévère. L’élan est donné, je verrai ce que j’en fait. En tout cas ma journée commence par une belle sensation.

Ton carnet est intéressant dans l’idée. Il faudrait que je vois si je peux le trouver. Des deuils nous en avons maintenant beaucoup dans notre besace. Des proches, des lointains, et tous ses renoncements. Les rires envolés, les sourires partis, les petites attentions oubliées, l’écoute perdue et tous ces mots que l’on ne peut pas dire, l’incapacité à exprimer son ressenti, les mots qu’on nous empêche de dire, ce qu’on nous empêche de vivre. Je connais bien cet état de sideration, celui où plus rien ne sort. Alors peut-être un carnet.

Pendant quelques temps je notais mes rêves. En les relisant les uns après les autres, j’y trouvais le fil conducteur. Maintenant je rêve moins, ou alors de mon père. Bientôt un an qu’il est parti. Il est toujours là pourtant. Je sens sa présence, plus que lorsqu’il était vivant.

Ma journée se termine maintenant, elle n’a pas été très intéressante, du télétravail, un peu de streching, puis rien.

Demain je commence à préparer mes affaires pour les vacances. M’échapper d’ici me fera le plus grand bien.